dimanche 12 mai 2013

Retour à Paksé (PE)

Lorsque je me suis engagé sur le pont qui traverse le Mékong et permet d’atteindre Paksé en venant de Thaïlande, ou, en l’occurrence, de Champassak, je savais que la ville dans laquelle je revenais serait très différente de celle dans laquelle j’ai séjourné au cours des étés 1998, 1999 et 2000 dans le cadre d’un programme de formation des enseignants de l’Ecole Normale (avec d’autres membres d’une association étudiante, SoNo). Mais je n’imaginais pas à quel point Paksé en 2013 est une autre ville. J’ai eu beaucoup de mal à y retrouver des repères. En redécouvrant cette ville je ne parvenais souvent plus à déterminer ce qui était réellement nouveau et ce que ma mémoire avait altéré.

A la fin des années 90, Paksé était une ville endormie et isolée. Seul un bac permettait de traverser le Mékong. La route pour Vientiane n’était pas asphaltée et une vingtaine d’heures de bus, dans des conditions éprouvantes, était nécessaire pour rejoindre la capitale. L’Internet n’existait pas plus au Laos qu’ailleurs et seul le fax de l’Ecole Normale permettait d’envoyer/recevoir quelques nouvelles. Le premier cybercafé – en fait un seul ordinateur portable ramené par un Franco-Lao – a ouvert en 2000. Les produits alimentaires manufacturés se limitaient à la bière, aux boissons gazeuses et au lait concentré (pas de yaourts, de chocolat, etc.) et les vitrines n’avaient pas encore fait leur apparition. Le premier petit supermarché a ouvert en 2000 ; un mauvais chocolat chinois à l’huile de palme y était vendu. Les touristes rencontrés lors d’un séjour de plusieurs semaines se comptaient sur les doigts de la main.


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L’aménagement urbain de la ville a été complètement modifié. Toutes les rues sont désormais asphaltées; des ronds-points et des feux de circulation aident à réguler la circulation (encore relativement modeste). 


Un rond-point à Paksé! Près de l'ancien embarcadère pour le ferry qui permettait de traverser le Mékong. Un bateau-restaurant a pris la place du ferry. 

L’activité économique s’est déplacée du centre-ville historique – à proximité de la jonction entre le Mékong et la rivière Sédone – vers l’est et le « nouveau marché », près de l’arrivée du « pont Japonais » sur le Mékong inauguré en 2000. Un nouveau « marché central » vient cependant d’être inauguré sur l’emplacement de l’« ancien marché ». Ce marché moderne (plutôt un centre commercial) sur trois niveaux est un investissement de Tang Frères – les mêmes « Frères » d’origine sino-laotienne que ceux installés avenue d’Ivry à Paris – et s’ajoute à ceux de Vientiane et Savannakhet.



Tang Frères à Paksé

L’hébergement touristique, quasi-inexistant à la fin des années 90, s’est considérablement développé. Il est essentiellement localisé le long du tronçon de la route n°13 qui passe devant le Champassak Palace Hotel et rejoint le « pont Français » sur la rivière Sédone et dans les rues perpendiculaires qui vont vers la rivière. Les touristes qui font étape à Paksé pour visiter le Vat Phou, s’aventurer sur le plateaux des Bolavens, ou se diriger vers les Si Phan Don ont maintenant le choix entre une bonne trentaine d’hôtels et de guesthouses. Pour une dizaine d’Euros il est possible de se loger dans une chambre propre, climatisée et disposant d’une connexion à l’Internet. Deux grands hôtels de luxe s’élèvent aussi sur la rive est du Mékong, à gauche et à droite du « pont Japonais ». L’un est encore en construction ; il devrait être assez pharaonique.


L'hôtel à droite du "pont Japonais"
L'hôtel en construction à gauche du "pont Japonais".

Il y a 13 ans le seul immeuble véritablement moderne et haut de Paksé était celui de la Banque pour le Commerce Extérieur Lao (BCEL, le seul endroit où il était alors possible d’obtenir des Kips avec des chèques de voyage ou une carte bancaire). Depuis les immeubles ont « poussé comme des champignons » (dixit Noukone), vers le pont, le long de la route n°13, etc., et les banques et les distributeurs automatiques de billets sont omniprésents. Cette frénésie constructrice a même touché le Vat Luang, maintenant dominé par une résidence de plusieurs étages destinée à accueillir les moines. Et de l’autre côté de la rue une grande boutique Shiseido écoule de grandes quantités de crème éclaircissante (les laotiennes, et les femmes asiatiques en général, vouent un culte immodéré aux peaux blanches).

Le Vat Luang
En face du Vat Luang

Le restaurant vietnamien, près du Paksé Hôtel (qui a été complètement réhabilité), où les membres de SoNo venaient souvent dîner existe toujours. Il a maintenant une enseigne – Xuan Mai – et une carte variée en anglais. En revanche le restaurant Sédone, dans la même rue, est devenu un cybercafé un peu mort et les tables au bord du Mékong, à la confluence avec la Sédone, où nous amenions de quoi manger le midi et commandions des boissons n’existent plus. Mais un continuum de restaurants et de bars (20 ? plus ?) borde désormais le Mékong entre ce point de confluence et le « pont Japonais ». Tous arborent une enseigne jaune similaire et sponsorisée par l’omniprésente Beerlao. De nouveaux cafés Wi-Fi au design moderne, tel le Bolavens Café, se sont également développés vers le «pont Français» et servent du café de premier choix (ainsi que des petits-déjeuners continentaux, etc.).


L'ancien restaurant Sedone...
...et le moderne Bolaven Café où MC & moi prenions notre petit-déjeuner chaque matin
Un des hôtel de la rue allant vers le "pont Français", celui où MC & moi avont passé 13 nuits.

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Ce retour à Paksé fut l’occasion de revoir certains enseignants et étudiants avec lesquels j’étais en contact à la fin des années 90. Les trois professeurs de l’Ecole Normale qui aidaient SoNo à organiser le projet (parce qu’ils pouvaient parler le Français), madame Noukone et messieurs Khamleu et Siha (les Lao s’identifient avec leurs prénoms) résident toujours dans les mêmes maisons. Noukone et Khamleu sont désormais retraités de l’enseignement, mais grâce au développement du tourisme ils ont désormais une activité de « guides francophones » (tout comme le mari de Noukone). Siha sera à la retraite dans un an. Après avoir quitté l’Ecole Normale pour enseigner dans les classes bilingues du collège/lycée Phonexay (comme Khamleu), il est devenu directeur adjoint du bureau de l’éducation de la province. Sa femme et lui partagent leur grande maison avec deux de leurs enfants (dont Li, alias Soukdala), leurs conjoints et leurs petits-enfants. Il a conservé sa diction si particulière et une bonne descente pour la Beerlao.


Sur le perron de la maison de Noukone et son mari (à gauche), avec Khamleu, Phonetida et Alina
Khamleu n'évalue plus des élèves mais est maintenant évalué par ses clients francophones.
Siha avec sa petite-fille, la fille de Li

Les (post-)adolescent(e)s que j’ai connus et revus à Paksé sont, logiquement, devenus des mères et des pères. Seule Phonetida, la lycéenne qui m’emmenait sur son scooter en 1998-2000 (et m’a cette fois véhiculé dans le 4×4 familial) vit toujours chez ses envahissants parents, change souvent d’emploi, et cherche l’âme sœur sur le Net.



Alina, Li, Soonida, Khao, Ya & Mo sur une photo de Noukone qui doit dater de la fin des 90's - début des 2000's...
... et Alina & Mo, jeunes mères, en 2013 (et Phonetida)

Alina (Khay), la fille ainée de Noukone, bien qu’elle soit ingénieure en génie civile et ait d’abord exercé dans ce domaine, travaille maintenant comme comptable au département de la planification de la province. Elle aide aussi son mari dans ses différentes affaires (agence de voyage, guesthouse, plantation de café, etc.). Alina et son mari possèdent une maison mais ils la louent à un étranger et habitent dans l’une des chambres de leur petite guesthouse, parce qu’ils veulent « gagner de l’argent ». Ils ont un fils de 4 ans quelque peu hyperactif. Noukone dit que les enfants de la nouvelle génération sont différents, en particulier parce qu’ils regardent beaucoup de « cartoons ». Son autre petit-fils, le fils d’Alounna, est tout de même moins agité. Il n’a que deux ans. Alounna (Lick) est employé par la Coopération japonaise comme traducteur anglais/lao ; il travaille actuellement sur un projet de formation des professionnels de santé. Seul Laïlina, le benjamin, habite encore dans la grande et neuve maison de ses parents, au moins le week-end car il travaille à Paksong. Il ne devrait pas tarder à se marier mais sa fiancée « vaut chère » car elle est employée à la BCEL. Le montant de sa dote est élevée mais Noukone veut négocier, en échange, que Laï et sa femme viennent vivre avec eux plutôt que chez les parents de sa femme.

Repas chez Noukone
Noukone et ses deux petits-fils
Alina et son fils

La dynamique et enjouée Mo (Boualapanh) est devenue prof d’anglais à l’Ecole Normale, là même où elle a été formée. Auparavant elle a aussi étudié (et travaillé au sein de la communauté Lao locale) en Australie pendant un peu plus d’un an dans le cadre d’un programme de coopération. Elle est mariée et a un enfant. Soulivanh (alias Loy) est aussi diplômée de la section d’Anglais de l’Ecole Normale, a un mari et deux enfants. Elle enseigne aux jeunes enfants des écoles du village SOS de Paksé. Ecouter ces jeunes femmes modernes raconter leurs plus ou moins grandes difficultés à concilier leurs vies professionnelles et familiales et leurs sorties entre amies illustre bien la rapide convergence de leur mode de vie avec celui de leurs homologues occidentales.


Avec Mo dans l'un des 20 ou 30 bars-restaurants au bord du Mékong
Soulivanh, dans un autre de ces bars-restaurants

La volubile Soonida a suivi le même parcours étudiant et professionnel (mais pas familial) que Soulivanh avant de partir en Australie avec le même programme que Mo. Nous n’avons donc pu échanger que via Facebook. Il en a été de même avec Ya (alias Vilayvanh, elle travaille au Ministère de la culture) et Viengsavanh (elle travaille à l’OMS), les jeunes filles qui vivaient sur le campus avec ou près de mademoiselle Sisomphone (revue aussi) car toutes deux vivent maintenant à Vientiane avec leurs maris.

L’extravagant Chaypeth s’est manifesté sur Facebook mais il n’a pas été possible de le voir en chair et en os. Il était parait-il trop occupé par son boulot d’ « inspecteur d’état » (« I inspect the activities of party and government organisations »?!). Il est père et divorcé.

Des personnes que j’ai recherchées à Paksé, Khao est celle que j’ai eu le plus de difficultés à contacter. Ses deux parents sont décédés, l’échoppe de sa mère en face de l’Ecole Normale est devenue une pharmacie, mais, selon Noukone et Khamleu, elle vivait toujours juste derrière, dans la maison familiale, seule avec son frère (…ou pas, car celui-ci aurait été emprisonné pour consommation de stupéfiants). La réalité est moins sombre pour Khao (alias Panoy) : elle habite maintenant à Vientiane, y travaille (médecin) et s’y est mariée au début de l’année.


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Une université a été construite au kilomètre 7 de la route qui part vers l’est de Paksé mais l’Ecole Normale de Paksé n’a pas bougé du Lak Sam (Kilomètre 3). Les bâtiments scolaires et les résidences étudiantes (que SoNo occupait l’été), pour la plupart construits à la fin des années 90, sont aisément reconnaissables. 


Principal bâtiment de cours de l'Ecole Normale
Salle de classes que SoNo utilisait.
La résidence étudiante où les membres de SoNo étaient hébergés.

Cependant, l’environnement de l’Ecole – désormais annoncée comme un Teaching Training Center – a beaucoup changé. Les maisons des enseignants ont été modernisées, agrandies (telle celle de Noukone), et une petite citée s’est développée sur les terrains derrière l’école. Ceux-ci ont été répartis entre les enseignants de l’Ecole, telle une prime d’ancienneté. Noukone a donné son terrain à Alounna pour qu’il y bâtisse sa maison. D’autres enseignants ont fait construire de petits logements qu’ils louent aux étudiants pour pallier à l’insuffisance du nombre de places dans les résidences étudiantes de l’Ecole (qui, elles, n’ont pas été agrandies). Le capitalisme est bien en marche au Laos et les enseignants ne sont pas les moins entreprenants. Plusieurs restaurants et buvettes tenus par les familles des enseignants permettent aussi aux étudiants de se restaurer. Il est loin le temps où les membres de SoNo n’avaient d’autre choix pour déjeuner qu’une soupe de nouilles dans l’échoppe de la mère de Khao ou parcourir les 3 kilomètres qui séparent l’Ecole du centre-ville.



Le Paksé TTC comprend maintenant une section de Français.


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Paksé est maintenant une ville en pleine expansion et ouverte sur le monde. Elle bénéficie de sa situation géographique privilégiée et, plus généralement, du développement économique du Laos. Le niveau de vie (PIB en parité de pouvoir d’achat) y a été multiplié par 2 entre 1998 et 2011. Même les fonctionnaires bénéficient désormais de ce supplément de revenus. La retraite de Noukone est ainsi passée récemment de 900.000 à 2.200.000 Kips (de 90 à 220€). Le salaire d’enseignante de Mo vient d’être multiplié par 3 en une année et devrait encore sensiblement augmenter l’année prochaine.

La croissance économique ne s’appréhende nulle part mieux que sur les routes. Les voitures particulières, quasi-inexistantes il y a 13 ans, sont désormais un attribut indispensable des membres de la nouvelle classe moyenne Lao. Les trois enfants de Noukone, Mo, Soulivanh… possèdent tous une voiture. Noukone et son mari ne se déplacent plus que dans la voiture d’un de leurs trois enfants. Les motos et les scooters restent les plus nombreux mais les tuk-tuks sont devenus rares et ne semblent s’adresser qu’aux touristes. Les vieux bus de ville japonais qui assuraient très péniblement le service jusqu’à Vientiane et les camions-bus colorés qui descendaient jusqu’aux Si Phan Don ont disparu et laissé place à des bus modernes, voire ultra-modernes.


Bus "VIP" en partance pour Vientiane
Le trafic sur la route devant l'Ecole Normale a bien changé

Paksé reste néanmoins une ville paisible et peu bruyante. Les embouteillages se limitent à une file de quelques dizaines mètres devant le « pont Français » dont la circulation est alternée. La ville s’endort très tôt, fonctionne au ralenti pendant les week-ends. Il est toujours possible de siroter des cafés lao traditionnels (« à la chaussette ») et des Beerlao, de déguster des salades de papaye verte et du riz gluant, en regardant le Mékong s’écouler et les Laotiens ne pas se stresser.


Le "pont Français" sur la Sédone







1 commentaire:

  1. avez-vous d'autres photos des bâtiments de l'Ecole Normale (les plus anciens) ... ? peut-être verrais-je celui où j'ai enseigné en 68-69 ...

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